L’évolution des palettes végétales face aux changements climatiques

Alors que les modifications climatiques se font chaque année ressentir de façon accrue, le besoin de végétaliser notre environnement devient une nécessité quasi vitale. Notre statut de pépiniériste spécialiste de l’arbre nous permet de constater la consternation et les interrogations des gestionnaires de patrimoine arboré, des forestiers et des concepteurs paysagistes face aux difficultés des arbres à s’adapter à ces modifications.

Quelles essences planter demain ? Lesquelles seront les plus résistantes, les plus résiliantes face aux à-coups climatiques ?

Depuis plus d’un demi-siècle, les pépinières SOUPE œuvrent pour introduire et acclimater des essences d’arbres avec la préoccupation de leur qualité environnementale et de leur adaptation aux milieux.

La pépinière est une école de ténacité, de patience et d’observation des phénomènes naturels, climatiques et agronomiques. Notre art peut être appréhendé de différentes façons : il est relativement simple « d’engraisser » des plants dans des conditions de culture optimales à grand renfort d’eau et d’engrais mais force est de constater que ces cultures horticoles créent un confort souvent éloigné des futures conditions de plantation.

Cependant ce n’est qu’en faisant le choix de cultiver sans apport excessif d’eau et de fertilisant, en respectant les cycles naturels, que les arbres se retrouvent dans des conditions proches de leur future destination. L’observation de nos carrés de culture nous permet d’étudier les facultés d’adaptation des essences que nous élevons face aux évolutions du climat.

Ainsi, nous modifions d’année en année notre palette vers les essences les plus rustiques et les plus résilientes devant ces nouvelles contraintes.

Notre métier a évolué ; avec la spécialisation des producteurs dans un seul stade de culture, la production d’arbres est aujourd’hui fragmentée et se retrouve dans un système d’interdépendances contraignant. Or, maîtriser l’évolution des essences n’est pas chose aisée sans tenir le premier stade de production : la multiplication.


Exemple du canal du midi

Si l’on considère le projet de replantation du Canal du Midi, on peut constater que la palette végétale pertinente existait depuis fort longtemps dans les arboretums – notamment dans le Jardin des Plantes de Montpellier fondé par Henri IV en 1593 – ce qui montre sa parfaite acclimatation sur le long terme au climat méditerranéen.

Cependant, cette palette est absente des productions à grande échelle dans les pépinières. L’étude confiée par les VNF à notre société de recherche et développement SINNOVEG nous a permis d’élaborer une stratégie de production de masse de ces essences d’introduction ancienne et considérées par les spécialistes comme essences d’avenir (Quercus castaneifolia, Quercus canariensis, Carya ovata, Carya illinoinensis).

Identification des essences d’intérêt

Les catalogues de pépinières regorgent de nombreux clones et cultivars distingués des espèces type par des critères ornementaux ou des spécificités de port. Ils garantissent l’homogénéité des lots, la stature physique mais rarement des caractéristiques d’adaptation climatique ou agronomique. Les cultivars constituent la manière la plus simple de diversification pour les pépiniéristes. La diversification des espèces ou genres botaniques est beaucoup plus complexe et longue à mettre en place. En effet, elles nécessitent en premier lieu l’identification des essences d’intérêt. Chercher à multiplier tel arbre ou arbuste parce qu’il constitue une nouveauté, une rareté ne présente pas pour nous d’intérêt autre que celui d’enrichir un catalogue déjà presque trop riche. Le véritable objectif de notre démarche de diversification réside dans la recherche de réponses à des problématiques environnementales, dans le cas présent, des modifications climatiques.

L’identification des essences d’avenir s’appuie sur différentes ressources.

Observation de notre environnement

Certains milieux de notre environnement proche accentuent les phénomènes climatiques. Les arbres croissant sur les stations particulièrement chaudes et sèches seront favorisés par rapport aux essences spontanées de milieux de sols profonds, frais et humides.

De nombreuses essences spontanées comme Acer campestre, Acer monspessulanum, Prunus mahaleb, Quercus suber, Pyrus amygdaliformis montrent une bonne adaptation pour les plantations en milieu urbain mais elles sont rarement cultivées en pépinière.

Parcs et arboretums

Les parcs et les arboretums dont la fonction première est l’observation comportementale des arbres constituent une source d’informations importante. L’arboretum national des Barres souligne l’intérêt de Picea orientalis pour ses capacités d’adaptation plus larges que Picea abies. Cette première essence n’est cependant jamais cultivée en pépinière.

Les parcs du XIXe et du début du XXe siècle sont souvent plus diversifiés en essences botaniques que les parcs de la deuxième moitié du XXe siècle. La Villa Thuret d’Antibes, le parc Borely à Marseille, la Tête d’Or à Lyon, le parc Napoléon de Vichy présentent de vastes ressources d’essences. D’autre part l’âge avancé des sujets les constituant témoigne de leur capacité à supporter les événements climatiques successifs, retenons par exemple Erhetia accuminata, Pinus bungeana, Koelreuteria bipinnata.

Les forestiers

Les forestiers sont aussi des observateurs privilégiés des arbres dans leur milieu. Cependant, la recherche de rendement a privilégié la plantation de résineux au détriment de forêts mixtes composées d’essences indigènes ou exotiques. Certains forestiers s’intéressent à la diversification constatant les limites des systèmes forestiers actuels.

L’ONF travaille depuis de nombreuses années sur le genre Quercus. Ce genre très vaste est constitué de nombreuses espèces croissant dans des milieux particulièrement chauds et secs, par exemple : Quercus wislizeni, agrifolia, variabilis, macrolepis, libanii…

L’association Garrigue Vivante œuvre depuis 30 ans pour diversifier sa garrigue et la rendre vivrière en limitant au maximum les conifères notamment le pin d’Alep véritable complice du feu au profit d’essences d’introduction sélectionnées pour leur adaptation à ce milieu difficile. Les essences ici plantées ont aussi en commun un intérêt économique ou environnemental. Des bois précieux comme Cupressus sempervirens, Cupressus dupreziana, Sorbus domestica, Quercus ithaburensis, Maclura pomifera sont juxtaposés aux essences mellifères comme Euodia danielli, Sophora pubescens, ou aromatiques comme Zanthoxylum piperitum, Pistacia sinensis et atlantica.

Les ressources bibliographiques

Les ouvrages spécialisés sont eux aussi de précieuses ressources pour orienter nos recherches. Retenons par exemple « Les arbres pour nos villes méditerranéennes » de Catherine Ducatillon et Pierre Michelot et le « Guide illustré des chênes » de Thierry Lamant. Nous remarquons là encore qu’une grande partie des essences présentées dans ces ouvrages n’est à ce jour pas cultivée.

Sélection faite, les choses ne sont pas pour autant gagnées car la domestication des arbres n’est pas une réussite systématique. Le transfert du milieu naturel aux conditions de culture demande souvent plusieurs années de réglage.